CHAPITRE XV
A côté de la stèle où reposait Luke Skywalker, le vieux Streen montait fièrement la garde. Assis en tailleur sur le sol glacé, il se sentait merveilleusement bien dans sa combinaison multipoches, un souvenir de son passé de prospecteur de gaz sur Bespin.
Le costume était bien la seule chose qu’il regrettait parfois.
A présent, une formidable mission lui incombait : veiller sur le corps du maître !
Autour du gisant, douze bougies symbolisaient chacun de ses élèves et leur volonté de le défendre.
Streen sonda l’obscurité environnante. Quoi qu’il arrive, plus jamais il n’écouterait la voix de l’homme en noir. Exar Kun aurait beau essayé, il ne parviendrait pas à l’abuser de nouveau.
Dans la main droite, le vieil homme serrait la poignée du sabrolaser de Luke : un honneur extraordinaire.
Viens donc, Exar Kun ! Cette fois, je saurai te combattre !
Parmi ses camarades, certains voyaient d’un mauvais œil qu’on ait confié la garde du maître au vieil ermite, surtout en lui remettant un sabrolaser. Mais Streen avait supplié qu’on lui donne cette chance de se racheter.
Kirana Ti avait plaidé en sa faveur. Il fallait prendre le risque, sinon l’équipe n’en aurait plus été une. Streen devait redevenir un maillon de la chaîne aussi résistant que les autres.
Le vieil homme laissa le sommeil l’envahir. Inclinant la tête, il s’assoupit.
Alors des mots dansèrent dans son crâne pour former des phrases douces et insistantes. On lui demandait de se réveiller. Oui, on voulait le tirer du sommeil…
Streen résista, car il ignorait si c’étaient ses camarades qui lui parlaient, ou quelque émissaire du Mal.
Quand il estima avoir attendu assez longtemps, le vieil aspirant Jedi rouvrit les yeux.
Ses voix intérieures se turent. Un autre organe, bien réel, prit le relais :
– Réveille-toi, mon élève. Le vent se lève.
Exar Kun se tenait debout au milieu de la salle, le visage beaucoup moins flou que lors de ses apparitions précédentes. Sur ses traits, la haine se lisait aussi clairement que la bonté sur ceux de Luke Skywalker.
Streen se leva, se sentant plus calme et déterminé que jamais.
– Je ne t’obéirai pas, homme en noir, déclara-t-il.
Exar Kun éclata de rire.
– Et comment te proposes-tu de résister ? Tu m’appartiens déjà.
– Si tu le crois vraiment, c’est que tu viens de commettre ta première erreur.
Il activa la lame du sabrolaser. A sa grande surprise – et satisfaction – Kun recula.
– Parfait, fanfaronna-t-il. A présent, coupe ce bon vieux Luke en deux. J’ai hâte d’être débarrassé de cette affaire.
Streen avança, la lame verte brandie.
– C’est toi que je couperai en deux, homme en noir.
– Imbécile, crois-tu que ces armes puissent avoir un effet sur moi ? Tu aurais dû demander à ton ami Gantoris, ou as-tu oublié ce qui lui est arrivé ?
Une vision s’imposa à l’esprit de Streen. Le cadavre de Gantoris consumé de l’intérieur par les flammes du Côté Obscur.
A coup sûr, Exar Kun pensait lui ruiner le moral en ravivant ce souvenir. Gantoris avait été son ami, et le premier Jedi, avec le vieil ermite, que Luke ait découvert lors de sa quête.
Une fois encore, l’homme en noir allait en être pour ses frais. Loin de miner son courage, penser à son défunt compagnon stimulait Streen.
– Personne ne veut de toi ici, Exar Kun.
A la grande surprise du vieil homme, le Seigneur de la Sith recula de nouveau.
– Si tu m’ennuies, je trouverai d’autres marionnettes, Streen. Et quand j’aurai vaincu, ma vengeance sera terrible. Tu verras, j’inventerai pour toi des façons de souffrir qui dépasseront toutes les horreurs de l’Histoire.
L’ombre maléfique s’éloigna davantage. Alors une grande silhouette apparut au sommet de l’escalier, débouchant à gauche de l’ascenseur, et entra dans la salle d’audience.
Kirana Ti, vêtue de son armure.
Kirana Ti, féminine jusque dans le combat, mais pas moins dangereuse pour autant.
– Ainsi je te vois fuir, Exar Kun ? Serais-tu si facile à effrayer ?
Streen tenait sa position, sabrolaser levé.
– Une autre élève stupide ! dit Kun. Quand l’heure aura sonné, je viendrai à toi, mon enfant. Les sorcières de Dathomir ont leur place dans la nouvelle Confrérie de la Sith.
– Tu n’auras jamais l’occasion de leur en proposer une, Kun, car tu es prisonnier ici. Jamais tu ne quitteras ce temple.
Elle avança pour l’intimider davantage.
L’ombre du Seigneur Noir vacilla mais il ne recula pas.
– Il t’est impossible de me menacer, gronda-t-il.
Streen sentit un frisson courir le long de sa colonne vertébrale ; par bonheur, Kirana Ti ne se démonta pas. Sans cesser d’avancer, elle prit un des outils qui pendaient à sa ceinture.
Un éclair déchira la pénombre. C’était la lame blanche et améthyste d’un autre sabrolaser.
La jeune femme fit des moulinets dans l’air.
– Où as-tu eu cette arme ? demanda Kun.
– Elle appartenait à Gantoris. Il t’a défié, et il a échoué. Moi, je suis sûre de réussir.
Elle amorça un mouvement tournant. Streen conservant sa position, le Seigneur Noir était pris en tenaille.
Un autre aspirant Jedi apparut au sommet d’un escalier, celui de droite, cette fois.
Kam Solusar.
– Si elle échoue, dit-il, je ramasserai le sabrolaser et je prendrai sa suite.
Il se rapprocha de Kirana.
Tionne surgit à son tour et lança le même défi à Kun.
– Et s’il échoue, je prendrai sa suite…
Cilghal se montra, tenant les jumeaux par la main.
– Nous te combattrons aussi, Exar Kun. Nous tous, un et indivisibles.
Les autres élèves entrèrent et vinrent se joindre au groupe qui encerclait déjà le Seigneur Noir.
Kun leva un de ses bras spectraux et, d’un revers de la main, plongea la pièce dans l’obscurité en soufflant les douze bougies qui brûlaient autour de la stèle.
– Nous n’avons pas peur de l’obscurité, dit Tionne. Et nous pouvons faire jaillir la lumière.
Streen vit ses amis continuer d’avancer, une aura bleue les enveloppant.
A mesure qu’ils approchaient de Kun, la lueur augmenta.
– Même unis, vous êtes trop faibles pour me combattre, cracha l’homme en noir.
Streen sentit sa gorge se serrer, l’air refusant d’arriver à ses poumons. Autour de lui, ses amis éprouvaient les mêmes symptômes. Ils étouffaient, livrés au pouvoir supérieur d’Exar Kun.
– Streen, si tu veux vivre, exécute ces imbéciles, puis détruis le corps de leur maître.
La forme fantomatique du Seigneur Noir avait grandi, écrasant le vieil ermite de son ombre.
Le sang battait aux tempes de l’ancien prospecteur de gaz. De l’air, il lui fallait de l’air.
Alors la Force coula en lui, forçant le passage de l’oxygène à travers sa trachée artère. Si puissante qu’elle fût, l’emprise magique de Kun ne put s’opposer au phénomène.
Streen sentit la vie circuler de nouveau en lui. Mobilisant ses pouvoirs de Jedi, il vint à la rescousse des autres élèves, qui recommencèrent à respirer les uns après les autres.
– Nous sommes plus puissants que toi ! dit Dorsk 81 dès qu’il put articuler un mot.
Il parlait sur le ton du défi, mais Streen comprit qu’il était surpris de ce résultat.
– Combien vous devez me haïr ! souffla Exar Kun. Je sens votre colère…
Cilghal intervint, utilisant la voix de diplomate qu’elle avait mis si longtemps à se forger.
– Nous n’avons pas de colère, Exar Kun, et nous ne te haïssons pas. Pour nous, tu es une leçon vivante – si j’ose dire ! – car grâce à toi, nous savons ce qu’est un vrai Jedi. A te regarder faire, il est évident que le Côté Obscur n’est pas très puissant. Quel pouvoir aurais-tu qui nous ferait défaut ? C’est surtout ta faiblesse que tu tentes d’utiliser contre nous !
– Mais nous t’avons assez observé, Exar Kun, dit froidement Kam Solusar, et il est temps que tu sois vaincu.
Les aspirants Jedi avancèrent, refermant le cercle autour de leur proie. Streen et Kirana Ti levèrent leurs sabrolasers, prêts à frapper.
L’aura bleue devint encore plus brillante. La Force unissait les élèves de Luke, les rendant plus puissants que jamais.
– Vous n’êtes pas invincibles, s’insurgea Kun. Je connais vos faiblesses. Toi, Dorsk 81, tu…
Le spectre voulut étendre son ombre sur l’aspirant Jedi. Les autres accoururent à son secours, lui communiquant leur détermination.
–… Tu es une aberration, Dorsk 81 ! Siècle après siècle, votre structure génétique était parfaite. Mais tu es une anomalie. Une pièce bonne pour le rebut !
L’élève Jedi ne faiblit pas.
– Ce sont nos différences qui font nos forces, dit-il. J’ai appris cette vérité, Kun.
Le Seigneur Noir se tourna vers Tionne :
– Où sont tes pouvoirs de Jedi ? Tu es ridicule ! Pendant que tu chantes tes ritournelles à la gloire des héros, d’autres accomplissent les actes que tu loues !
Tionne sourit, ses yeux gris perle brillant dans l’obscurité.
– Un jour, nos chansons célébreront la défaite d’Exar Kun. Et c’est moi qui les chanterai.
L’aura se faisait de plus en plus forte, car la chaîne formée par les Jedi n’avait plus de maillon faible.
Streen n’aurait pas su dire quand cela se produisit, mais une autre image vint se joindre au cercle des aspirants Jedi. Ça n’était qu’une apparition spectrale, un petit homme voûté aux mains ratatinées tendues devant lui.
Des yeux minuscules, une allure insectoïde… Soudain, Streen reconnut l’ancien Maître Jedi Vodo-Siosk Baas, qui leur avait parlé par l’intermédiaire de l’Holocron.
Kun vit aussi l’image de son ancien professeur.
– Ensemble, les Jedi surmontent leurs faiblesses, dit l’apparition. Exar Kun, toi qui m’as trahi, te voilà enfin vaincu.
– Non ! cria le Seigneur Noir, cherchant désespérément un moyen de briser le cercle.
– Si ! dit une voix puissante.
En face de maître Vodo venait d’apparaître la silhouette iridescente d’un jeune homme en robe de Jedi.
Luke Skywalker !
– Pour chasser l’ombre, dit Cilghal, il suffit d’augmenter la lumière. C’est aussi simple que ça.
Kirana Ti avança, pointant le sabrolaser que Gantoris avait fabriqué de ses mains. Streen l’imita.
Les deux élèves se regardèrent, puis hochèrent la tête.
C’était le signal. Ensemble, ils abattirent leurs lames sur l’homme en noir.
Les rayons se croisèrent dans le corps immatériel du Seigneur Noir – de la lumière pure épousant de la lumière pure avec une explosion de clarté.
On aurait cru assister à une nova.
L’obscurité s’échappa de la silhouette d’Exar Kun comme s’il avait perdu son sang. A l’évidence, la vapeur sulfureuse aurait aimé trouver un cœur impur où se réfugier.
Streen et Kirana Ti gardèrent leurs lames croisées, l’énergie explosant en gerbes scintillantes.
Streen utilisa de nouveau la Force, manipulant l’air pour qu’il tourbillonne à la manière du cyclone qui avait failli détruire Luke. La tornade enveloppa la fumée noire qui était Exar Kun et l’entraîna vers les lucarnes.
Avec un cri étranglé, le Seigneur Noir fut éjecté du temple. Dehors, l’attendait l’infini de l’espace…
Les Chevaliers Jedi restèrent encore unis un moment. Puis, épuisés et soulagés, ils se séparèrent, l’aura bleue mourant lentement.
L’image de Vodo-Siosk Baas vola jusqu’au plafond comme pour s’assurer de la disparition du Seigneur Noir. Quand ce fut fait, elle s’évanouit.
En toussant, car il venait d’expulser de ses poumons un air qu’ils gardaient depuis trop longtemps prisonnier, Luke Skywalker se dressa sur les coudes puis s’assit sur la table de pierre.
– Vous avez réussi ! dit-il, alors que chaque inspiration lui redonnait de la vitalité. Mes liens sont brisés !
Les nouveaux Chevaliers Jedi vinrent l’entourer.
Criant de bonheur, Jacen et Jaina se jetèrent dans les bras de leur oncle et le couvrirent de baisers.
Luke sourit à ses élèves, la fierté illuminant son regard.
– Quelle équipe vous faites ! Il est bien possible que nous n’ayons plus jamais à craindre l’obscurité.